Diverses notes d'intention

 
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Pour peut-être nous inciter à interroger la lecture que nous faisons d'ordinaire de nos comportements et de ceux des autres, de nos normes économiques et sociales, du monde, de la conscience, de l’existence, je raconte rarement une histoire, mais une histoire et ses interprétations possibles (merveilleuses, psychiatriques, crapuleuses). 
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A propos des Toilettes de l'entreprise



Le dispositif de la pièce, qui s’affranchit d’un découpage en scènes bien distinctes, me permet de donner à l’entreprise le rôle principal, celui d’un superorganisme (je reprends le terme utilisé en écologie pour désigner les sociétés animales comme les ruches ou les fourmilières, dans lesquelles l’individu est comme une cellule totalement dédiée au corps auquel elle appartient). L’individu, dans le superorganisme qu’est l’entreprise, n’est pas une personne, mais une « ressource humaine ». Dont on attend une chose, une seule : qu’il contribue à faire progresser le chiffre d’affaire.
 
Ce que montre la pièce, dans un premier temps, avant qu’on comprenne qui est le responsable des disparitions d’employés dans les toilettes, c’est qu’une organisation vouée exclusivement à l’efficacité et au rendement est une organisation psychorigide, qui ne sait que faire de tout évènement irrationnel ou même simplement sensible, sinon le réduire en données que son logiciel saura traiter, et qui produira en réponse : minimisation, méfiance, sanctions, exclusions…

Ce que dit ensuite la pièce, c’est qu’en 2021 et en Europe, un travailleur est encore quelqu’un qui est amené à sacrifier une grande partie de lui-même voire la totalité pour un bénéfice beaucoup plus matérialiste qu’humaniste : gagner sa vie, satisfaire l’employeur, le supérieur hiérarchique, l’actionnaire, le client et – absurdité suprême – le système économique.

Ce que dit la pièce (et moi aussi), c’est que les gens méritent mieux que ce traitement. Ils méritent d’avoir pour préoccupation principale d’être utiles aux autres, d’œuvrer pour des objectifs responsables, de s’épanouir dans des activités qui ont du sens, d’avoir du temps pour eux, pour apprendre, pour créer, pour changer le monde. Tout ça ne doit plus s’exprimer timidement, à la dérobée, mais être le noyau de leur quotidien. Leur seule satisfaction ne peut plus être de se transformer à leur tour en client une fois leurs heures de travail effectuées. Ou de battre l’autre, de le dépasser, de passer avant lui.

Les gens méritent mieux que cet état d’esprit, mieux que ces entreprises qui, pour de basses visées mercantiles, exigent d’eux le sacrifice de la plus grosse partie de leur énergie, de leur sensibilité, de leur enthousiasme, de leurs rêves, et qui en prime peuvent à tout moment les jeter.

Ils méritent mieux que de travailler pour des employeurs qui ne commencent à se préoccuper de leur bien-être, à eux les employés, que depuis qu’ils ont découvert que ce bien-être est favorable à la productivité ! Qui ne commencent à se préoccuper de produire proprement que depuis qu’ils ont compris qu’il y a une clientèle pour les produits propres !

Les gens ont le droit à leur vie, le droit de ne pas être mangés par le système économique, le droit d’en changer pour un système économique qui ne mange personne, qui ne soit pas un monstre, qui soit un système humain fait pour les humains. Je crois que c’est ce que dit cette pièce, ce que du moins elle suggère à tout spectateur qui n’est pas fataliste ou résigné (et qui bien sûr ne souhaite pas le maintient du modèle actuel). Elle le suggère en ne s’embarrassant pas de nuances. Au moyen de la farce. Car ce qu’elle dénonce est aussi sans beaucoup de nuances. Ce qu’elle dénonce est aussi énorme et grossier qu’une farce.
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A propos de Ce qui arrive à Francis Lhomme



Quand on observe les autres, on remarque qu’ils n’agissent pas en permanence dans leur intérêt, ou pas sur tous les sujets. C’est très rarement de l’idiotie, très rarement faute d’être intelligents : on les voit agir le reste du temps avec toute l’intelligence nécessaire (quand ils le veulent bien, pourrait-on croire). C’est peut-être que leur intérêt, que notre intérêt à chacun, obéit à une rationalité secrète (je crois davantage à ça qu’au fait que l’intelligence connaîtrait des ratés). C’est peut-être que l’intérêt que nous poursuivons n’est pas matérialiste. Qu’il est d’un autre ordre. Que nous cherchons, individuellement mais aussi collectivement, peut-être moins à atteindre des buts, à obtenir des gains, des profits, des privilèges, qu’à expérimenter des situations (pas nécessairement plaisantes) et à travers elles de progresser. C’est l’intuition que j’ai. Une intuition qui m’occupe beaucoup l’esprit, et que j’ai cherché à suggérer au travers de ce texte, où il est question d’inconscient, de maladie psychique, de choix, d’opinions, de goûts, de la notion pénale « d’abolition du discernement », de manipulation mentale, de possession par le malin, de métempsycose et de relations sexuelles avec des fantômes…

Le personnage de Francis Lhomme, qui expérimente l’indécision poussée à son comble et se montre capable d’obéir à n’importe quelle injonction, nous dit aussi que ça n’est pas un état qu’il faut souhaiter à une civilisation, surtout au moment où celle-ci doit faire face à des défis majeurs.
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A propos de Coaching littéraire



Je défends l’idée, dans cette comédie dramatique, que la compétition, lorsqu’elle est une violence faite à l’autre et à soi-même, ne peut que mener à des monstruosités ; que la compétition n'est admissible que dans le respect de soi et des autres ; que si un système économique ne permet pas la compétition dans le respect de soi et des autres, il est un mauvais système économique ; que notre système économique n’est pas un bon système économique.
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A propos de S'en sortir ici / Sortir d'ici



Comme déclencheur, simplement la volonté de faire porter à une dystopie un dilemme selon moi en germe dans notre monde contemporain, notamment parmi les plus jeunes : batailler pour s’en sortir dans ce système économique mondialisé de plus en plus brutal (que le gouvernement chinois va façonner petit à petit à son goût), ou bien batailler pour créer quelque chose de précaire à côté (à l’instar des Zadistes). L’envie (naïve) que le dilemme tombe.
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A propos de Impensable



Que le niveau global de violence dans le monde continue de diminuer : c’est une éventualité, pas une certitude.

Que l’humanité devienne très rapidement non violente : c’est extrêmement peu probable.

Du jour au lendemain : inenvisageable, humainement impossible, impensable.

Mais plus la pièce avance, plus cet impensable devient imminent.

Plus il nous faut, comme les personnages, tenter de penser l’impensable.

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A propos de Partir dans tous les sens ou La vache 3030
 
 
 

Il me semble que chacun de nous vit comme si le monde était ce qu’il était il y a cinquante ans. Comme si de prodigieux bouleversements (et problèmes) n’étaient pas annoncés et prévisibles.

De là m’est venue l’idée d’un adolescent qui, inconsciemment, saurait (aurait connaissance du fait) que « ça va partir dans tous les sens », mais qui, consciemment, comme la plupart des jeunes de son âge, chercherait à répondre raisonnablement aux attentes des adultes et de la société.

Son inconscient ne serait pas longtemps d’accord. Il demanderait un comportement en adéquation avec la situation. Et ça pourrait mettre le bazar.

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A propos de Siestes paisibles



La classe dominante crée des monstruosités dont elle est très rarement la première victime. Pour mieux rendre apparente cette grande règle, je travaille depuis quelques temps à l’écriture de contes théâtraux, ou de farces, dans lesquelles c’est tout le contraire qui arrive : la monstruosité, créée par la classe dominante, se retourne contre elle. 

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