D'avoir pleuré à l'hypermarché

de Tristan Choisel
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Ils sont différents des autres. Seuls. En danger.
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> Projet de mise en scène :

Par Sébastien Dalloni et Laura Madar – avec Sébastien Dalloni et Laura Madar (compagnie Branle-Bas de Combat) – projet soutenu par le dispositif Constellations pour une programmation au Théâtre Transversal durant le festival off d’Avignon en 2025 (production en cours de montage).



> Écriture accompagnée par Michèle Énée, ainsi que par le collectif À Mots Découverts.
 
> Sélections : À Mots Découverts, Panta Théâtre, Théâtre du Rond-Point, Théâtre National de Strasbourg, Théâtre National de Toulouse, Écrivains Associés du Théâtre, Centre Dramatique des Villages du haut-Vaucluse et Première Approche ; nomination au Prix du Jardin d'Arlequin (Guérande).

> Lectures en public : 
 - Au Théâtre du Rond-Point et à la MC2 de Grenoble, par Judith Henry et Alexandre Steiger (direction : Jacques Osinski) - sélection Th. du Rond-Point.
- Au Théâtre de l'Aquarium (Cartoucherie de Vincennes), dans les Lundis en coulisse, par le collectif À Mots Découverts - sélection AMD.
- Au Théâtre National de Strasbourg, par Muriel Inès Amat, David Martins et Cécile Péricone (direction : Fanny Mentré) - sélection TNS.
- Au Théâtre National de Toulouse, par Camille Lopez, Julien Meynier et Martin Nikonoff (direction : Romain Picquard) - sélection TNT.

> Mises en espace : 
 - Par Carole Drouelle (Théâtre de l'Acacia - Île-de-France), au CentQuatre, avec Benoît di Marco et Axel Petersen.
- Par Matthias Hornuss, au Théâtre 13, dans le cadre des Mardis Midi (sélection EAT) avec Aïda Asgharzadeh et Benjamin Brenière - sélection Ecrivains Associés du Théâtre.
- Par Eva Schumacher, au Conservatoire du Grand Avignon, dans le cadre de Première Approche - sélection Eva Schumacher. 

  

 
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> durée : 1 h
> 1 décor
> 2 personnages (1 femme et 1 homme)
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Un homme et une femme trouvent dans leur boîte aux lettres un courrier anonyme se limitant à quatre mots : "Ne recommencez jamais ça". Ne recommencez jamais quoi ? Le corbeau fait-il allusion à leur passé de provocateurs ? – un passé révolu. Ou bien s’adresse-t-il plus particulièrement à l’homme, qui il y a quelques jours a pleuré à l’hypermarché ?
Une pièce d’une inquiétante étrangeté, mêlée de poésie et d’humour, par moments à la limite du burlesque, pour montrer le mécanisme par lequel la personne agressée, en s’isolant, concourt à l’objectif de l’agresseur ; mais une pièce aussi pour exprimer le désir d’un monde plus fraternel, plus harmonieux.
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L'histoire est traitée avec une élégance rare, dégagé de tout réalisme anecdotique ou de tout militantisme, pour toucher l'essentiel : l'humain, tout simplement...”
Carole Drouelle
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Extrait (début)



Je les imagine amoureux et complices, communiquant beaucoup par le corps.
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1 —


LUI.
Je me suis réveillé brutalement, en alerte. Les yeux grand ouverts sur un danger invisible. Impossible de me rendormir.
Je me suis habillé, et je suis sorti marcher au long de la mer. Dans les derniers embruns de la nuit. Les premières lueurs du jour. Pas longtemps. Juste histoire d’imprimer mes pas sur quelques centaines de mètres dans le sable humide. Histoire de retrouver mon calme dans le bruit des vagues.
Un homme et une femme que jamais je n’avais vus auparavant marchaient main dans la main. Ils m’ont adressé la parole – certainement parce que surpris autant que moi de croiser du monde à une heure aussi matinale. Nous avons discuté – ce n'est pas toi ce matin qui as la primeur de ma voix enrouée.
Quand je suis rentré, tu dormais encore profondément – il était encore très tôt. J’ai mangé et je suis monté travailler.
Ils viennent de s'installer.
Ils me plaisent bien. Ils sont un peu comme nous.
Cette impression de danger que j'avais depuis le réveil s’est estompée.
Quel danger pourrait-il y avoir ? Les vagues sont si belles, si bien formées.
Y a-t-il du courrier ?

ELLE.
Je ne suis pas allée voir.

Elle se rend à la boîte, trouve deux courriers. L’un des deux l’intrigue. Elle ouvre l’enveloppe sans précautions. Lit.

LUI.
Qu’est-ce que c’est ?

ELLE.
Je ne sais pas.
C’est écrit : « Ne recommencez jamais ça. » Rien d’autre. Pas de signature. Fait à l’ordinateur.

Je suppose qu’il veut toucher le courrier de ses propres mains, voir ce qui est écrit de ses propres yeux.

« Ne recommencez jamais ça. » Et que ne devons-nous jamais recommencer ?
L’enveloppe aussi est dactylographiée. Avec nos deux noms. Postée hier après-midi sur la commune. Un timbre ordinaire.
Qu'aurions-nous fait de dérangeant ces temps derniers ? Sais-tu ? Aurions-nous mal agi ? Aurions-nous fait du tort à quelqu'un ?

LUI.
Je le verrais bien assis sur une chaise de cuisine.
Hier matin, j’ai pleuré à l’hypermarché.
Je poussais mon caddie encore vide.
Après avoir, durant des millions d’années, tous ensemble, pour les besoins du groupe, cueilli de petits fruits, prélevé de jeunes feuilles, arraché de tendres racines, attrapé le poisson, chassé l’animal, recueilli l’eau, entretenu le feu, nous retrouver là, dans un hypermarché, m’est apparu épouvantablement humiliant.
Tout à mon émotion, quand il m’a fallu prendre un premier virage, je me suis cogné le tibia contre ce stupide accessoire du chariot qui sert à poser le pack de lait ou d’eau, et oblige à marcher à pas contrôlés.
Cela a suffi – il en fallait peu – pour que je m’effondre en larmes. D’énormes sanglots.
Pour soulager mon corps du poids de ma peine, je me suis laissé tomber sur une chaise de cuisine – je me trouvais près d’un déballage d’affaires à saisir, la chaise en faisait partie.
Assis là, au croisement entre l’allée de l’entrée et l’allée centrale, entre une lampe halogène et un panier à linge, j’ai continué de pleurer. Encore assez longtemps, je crois.
Mais il y a tous les jours quelqu’un qui pleure assis sur une chaise de cuisine.
Chez soi ou sous les regards déphasés de tout un hypermarché, cela s’appelle pleurer.
Et c’est dans les deux cas une chaise de cuisine.

ELLE.
Tu as bien fait.

LUI.
Je n’ai rien fait du tout. Je ne l’ai pas fait exprès.

ELLE.
Mais c’est quelque chose qu’il faudrait refaire.

LUI.
Qu’il faudrait refaire ?!

ELLE.
Accepteras-tu de l’entendre ? provoquer me manque. Je ne sais pas comment je me retiens.

LUI.
Parce que c’est du passé. C’est du passé.
Une fois, il nous a fallu déménager, tout quitter, à cause de notre talent pour la provocation. Pas deux fois. Je ne veux pas avoir à partir d’ici. Je m’y plais trop. Pas toi ?

ELLE.
Ce n’est pas d’être allé pleurer à l’hypermarché qui va nous obliger à partir.

LUI.
Je ne suis pas allé pleurer à l’hypermarché, j’étais dans l’hypermarché et j’ai pleuré.

ELLE.
Oui. Oui, mais c’est un acte manqué.

LUI.
Fasse alors que je n’en commette pas d’autres.
Quand nous sommes arrivés ici, il était convenu entre nous que nous cesserions toutes provocations.
Tu ne voudrais pas que nous recommencions ?!
Nous ne devons plus. Nous en avons suffisamment souffert.
Et je te parie que c’est une mise en garde qu’ils nous adressent. Ils nous conseillent de ne pas refaire ici ce que nous faisions là-bas.

ELLE.
Que sauraient-ils de ce que nous faisions là-bas ?

LUI.
Oh, ils se seront renseignés.

ELLE.
J’espère qu’ils ont mieux à faire.

Sans doute qu’ils y réfléchissent un moment.

LUI.
Je nous considère comme d’anciens provocateurs.

ELLE.
Moi aussi.

LUI.
Je ne veux pas repasser par où nous sommes passés.

ELLE.
Mais moi non plus.

LUI.
Il y a plusieurs époques dans une vie.

ELLE.
Il y a plusieurs époques dans notre vie, oui.
Oui.

Elle s’y résout difficilement, je crois.

La vie de la plupart de nos contemporains se constitue d’une seule époque… Époque au cours de laquelle ils n’aiment pas du tout qu’on les provoque – ou alors aiment beaucoup qu’on les provoque, mais avec ce qui ne les provoque plus depuis longtemps, avec ce qui n’a plus rien de provocant.
Avant tout, ils veulent être tranquilles. Fais-leur courir le risque de périr demain – atomisés, empoisonnés jusqu’à la dernière cellule, écrabouillés contre le premier obstacle, dévorés par leurs refoulements : si pour aujourd’hui ce risque leur assure des minutes tranquilles, tu auras leur bénédiction. Mais tes sales provocations : non ; là tu mets leur tranquillité en péril, malheureux ! ils vont te chasser. Ils tiennent moins à la vie qu’à leur tranquillité.
Il y a sûrement une explication à ça…
En tous les cas, toi et moi, nous sommes entrés dans une époque de notre vie qui devrait avoir leur faveur…
Oui, je regrette le temps de nos provocations – souviens-toi quand je dénonçais les abus de mes parents en place publique…

LUI.
J’entends bien, j’entends. Il n’empêche que vient d’arriver dans notre boîte un courrier qui n’est pas une provocation, mais une menace.
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Extrait 

[...] 

ELLE.
Nos affiches n’ont pas été déchirées, personne n’y a touché, personne n’y a porté d’inscription. Ça, c’est peut-être un bon signe… C’est signe peut-être que l’hostilité est toute relative.
Il n’est pas seulement tombé de pluie pour les abîmer – même les dieux sont avec nous.
Et cependant, je dois bien admettre que quelque chose dans l’air n’est pas rassurant.
Les regards ne sont pas rassurants. De loin, ils sont insistants. De près, ils sont fuyants. Plus ça va, plus les voisins nous montrent leur dos.

LUI.
Et plus ça va, plus tu regardes les choses en face. 

[...]

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Pièce anciennement intitulée "J'ai pleuré assis à l'hypermarché".



Texte intégral et/ou résumé complet sur demande.