Suivant une ligne perpendiculaire à la route

de Tristan Choisel
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La campagne sous ce soleil printanier lui a dit : sauve-toi par ici. Alors il le fait. Suivant une ligne perpendiculaire à la route.

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> Ce nouveau texte cherche son équipe.

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> durée : 1h15
> 2 femmes / 2 hommes
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Christophe, chauffeur routier, décide brusquement de se lancer dans une disparition volontaire, totalement improvisée, pour échapper à sa vie de famille et à sa vie professionnelle. Son escapade, depuis l’aire de stationnement où il a abandonné son camion, le mène pour commencer, à quelques centaines de mètres dans la campagne, chez Jacqueline, veuve, retraitée, ravie de l’animation que lui apporte ce chauffeur et se faisant forte de le ramener à la raison, de le convaincre d'entreprendre des démarches rationnelles (aller voir un médecin, faire une nouvelle formation, divorcer...). Comprenant qu'elle ne va pas rapidement y parvenir et sachant que les gendarmes ne vont pas tarder à chercher Christophe aux environs du camion, donc venir chez elle, elle lui trouve un hébergement à proximité, chez Sylvie, sa femme de ménage, divorcée. Mauvaise inspiration...

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Extrait (début) :

 



PERSONNAGES



Christophe, quinquagénaire

Jacqueline, septuagénaire

Sylvie, 51 ans

Clément, 32 ans

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La narration est prise en charge par les personnages et se signale par des parenthèses.

Il n'est pas impossible, ici et là, de jouer la narration plutôt que de la dire. Mais on veillera à ne pas abuser de cette possibilité, à respecter le plus possible le dispositif de distanciation que je propose.

Le signe / indique qu'à partir de cet endroit de la réplique vient se superposer la réplique qui suit.

Les retours à la ligne à l’intérieur d’une réplique invitent à une courte pause, les points de suspension à une pause plus longue.

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CHRISTOPHE. – (Le pré est parsemé de grappes de petites fleurs à quatre pétales de couleur lilas auxquelles s'intéressent de petits papillons blancs et oranges. Ici et là, des champignons, des rosés.

Je traverse ce pré dans sa longueur – sa très longue longueur.

Tout au loin, tout au bout, un verger traditionnel de fruitiers hautes tiges m'attend. En fleurs eux aussi, les fruitiers. Ça explose tout en douceur dans les blancs. Le printemps.

Vols et chants d’oiseaux allègres. Vols et bourdonnements d’insectes affairés. Par moment quelques bêlements de moutons au loin.

Arrivé sur le verger, dont me sépare un grillage à ovins qu'il m'est très facile d'enjamber, je découvre sa composition : pommiers et cerisiers sur prairie naturelle.

Je poursuis dans ce petit paradis mon trajet en ligne droite au long du grillage mangé par une grande haie vive.

La haie devenant tout à coup moins fournie, je remarque que je chemine aux abords d’une maison ancienne.

À l'endroit où cette haie peu fournie devient une haie taillée de buis, une haie basse, je découvre que se trouve dans le jardin entourant la maison, à cinq mètres seulement de moi, une femme âgée, dans les soixante-dix ans, légèrement penchée, occupée à faire quelque chose de ses mains dans le feuillage d'une plante ornementale.)

JACQUELINE. – (Je sursaute.)

CHRISTOPHE. – Je viens seulement de remarquer la présence de votre maison. Autrement, je ne serais pas passé aussi près – excusez-moi –, j’aurais fait un détour. Un village, par ici ?

JACQUELINE. – (Comme toujours, je me demande si je suis contente ou mécontente de voir du monde.)

Par ici, un village ? pas vraiment. Vous êtes en voiture ?

CHRISTOPHE. – À pied. Ça faisait longtemps que je n’avais plus marché en campagne. Très longtemps, même. Il y a bien cinq ou six ans, dans la Vienne.

JACQUELINE. – (Mitigée : contente et mécontente.)

À pied ?

CHRISTOPHE. – Oui. À l’avenir, je ne resterai plus aussi longtemps sans marcher en campagne.

JACQUELINE. – Vous n'avez pas un GPS sur votre téléphone ?

CHRISTOPHE. – Je l'ai pas sur moi, le téléphone.

JACQUELINE. – Vous venez d’où, comme ça, à pied ?

CHRISTOPHE. – De la route.

JACQUELINE. – De la route ?

CHRISTOPHE. – De l'aire de stationnement.

JACQUELINE. – Vous venez de l’aire de stationnement mais vous n’êtes pas véhiculé ?

CHRISTOPHE. – Exactement.

JACQUELINE. – Comment êtes-vous arrivé jusqu’à l’aire de stationnement ?

CHRISTOPHE. – En camion.

JACQUELINE. – Un camionneur vous a déposé ?

CHRISTOPHE. – Je suis le camionneur. J’étais.

JACQUELINE. – On vous a volé le camion ?

CHRISTOPHE. – Non, je m’envole du camion. Je ne suis plus camionneur. Fini. Camion largué sur l'aire de stationnement et moi je disparais. Je disparais dans la nature. J’obéis à une pulsion. Une pulsion de survie. Cette pulsion de survie m’amène à traverser ce verger qui jouxte votre propriété.

(Et je me demande pourquoi je lui raconte tout ça, puisque la seule chose que je veux obtenir d'elle, c’est qu'elle me dise par où il faut que j’aille pour trouver une petite agglomération ; et je comptais même me passer de son renseignement puisque je n’avais pas vu qu’il y avait ici une habitation – et encore moins une habitante.)

 

[...]