de
Tristan Choisel
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Les familles de tous leurs copains ont une religion. Pas la leur. Ils se sentent marginaux...
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Pièce tout public à partir de 11 ans (8 ans si accompagnement parental ou scolaire).
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durée : 55 min
> 4 personnages (2 femmes et 2 hommes)
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Quatre frères et sœurs, Raphaël, Zoé, Maëlys et Tom – respectivement treize, onze, neuf et sept ans – découvrent que toutes les familles de leurs copains ont une religion. Ce qui fait donc de la leur, estiment Raphaël, Maëlys et Tom, une famille de marginaux. Zoé conteste cette conclusion : les familles de leur copains ne sont pas représentatives de la majorité des familles française. L'argument ne les convainc pas. Zoé accepte, pour ne pas être en reste, de participer à l'expérience que Raphaël propose pour remédier à ce faux problème : créer leur propre religion et prétendre que leurs parents les y ont convertis...
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Extrait (début)
Raphaël, Zoé, Maëlys et Tom, à l'âge adulte.
Au public.
RAPHAËL. – Moi, Raphaël, je suis l'aîné de la fratrie.
ZOÉ. – Moi, Zoé, je suis l'aînée des deux filles.
MAËLYS. – Moi, Maëlys, la plus jeune des deux filles.
TOM. – Moi, Tom, le plus jeune de la fratrie.
RAPHAËL. – Quand nous étions enfants, nos parents tenaient à ce que nous passions le plus de temps possible auprès d'eux – c'est pour cette raison, par exemple, qu'ils préféraient que ça soit nos copains qui viennent de temps en temps à la maison plutôt que nous qui allions chez eux. Le problème, c'est que la vie avec papa et maman était monotone – ça avait des avantages, bien sûr, ça n'est pas eux qui nous dérangeaient beaucoup pour faire nos devoirs et on ne risquait pas de se faire remarquer par les gens à cause de leur exubérance, pour ça c'était rassurant, qu'on l'avoue ou non on avait tous les quatre besoin de normalité, mais tout de même, qu'est-ce qu'on s'ennuyait avec eux : ils n'avaient jamais rien de très intéressant à raconter, ils avaient très peu d'humour, pas de passions, les distractions et les sorties qu'ils proposaient étaient toujours un peu les mêmes, ils avaient rarement des invités et ils étaient tout aussi rarement invités... Soyons clairs, il n'y a que lorsque des problèmes nous tombaient dessus qu'il y avait un peu d'animation à la maison. Et malheureusement, tout pouvait aller parfaitement bien, excessivement bien, durant des mois et des mois. Alors, pour nous désennuyer, mes sœurs, mon frère et moi, on se mettait tous les quatre à voir des problèmes là où il n'y en avait pas.
TOM. – Sans le faire exprès, bien sûr.
MAËLYS. – Malgré nous.
ZOÉ. – À notre insu. Ça n'est qu'une fois devenus grands que nous avons su repérer et comprendre ce fonctionnement qui était le nôtre durant notre enfance.
RAPHAËL. – L'inconvénient, lorsque tu vois des problèmes là où il n'y en a pas, c'est que tu essaies de régler ces problèmes qui n'existent pas et que, faisant cela, tu te retrouves très vite avec de vrais problèmes.
MAËLYS. – Ça marche à tous les coups.
ZOÉ. – Tu ne t'ennuies plus.
TOM. – Non, ça, tu ne t'ennuies plus.
ZOÉ. – Tu ne t'ennuies plus mais tu as de vrais problèmes.
TOM. – De vrais problèmes quelquefois pas drôles du tout.
MAËLYS. – Et ça prend parfois pas mal de temps, pour t'en débarrasser, de ces problèmes.
ZOÉ. – C'est parfois toute une histoire.
RAPHAËL. – Une fois que c'est fait, que tu as réussi à te débarrasser de ces fichus problèmes, tu es soulagé.
MAËLYS. – Le soulagement dure un certain temps.
RAPHAËL. – Le soulagement dure aussi longtemps que restent présents dans ton esprit les problèmes que tu t'étais causés.
MAËLYS. – C'est tout à fait ça.
RAPHAËL. – Lorsque les problèmes que tu t'étais causés finissent par s'effacer totalement de ton esprit, que tu oublies donc combien il est pénible d'avoir de vrais problèmes à régler, tu ne ressens plus de soulagement, tu recommences juste à t'ennuyer.
ZOÉ. – Ma sœur, mes deux frères et moi, on recommençait à nous ennuyer.
MAËLYS. – Les longs mois d'ennui finissaient de nouveau par nous être pénibles.
ZOÉ. – Alors, il était certain que nous allions tous les quatre nous remettre à voir un problème là où il n'y en avait pas.
TOM. – L'exemple le plus marquant est celui que nous allons vous interpréter.
RAPHAËL. – J'avais treize ans.
ZOÉ. – J'avais onze ans.
MAËLYS. – Neuf ans.
TOM. – Sept ans.
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Raphaël, Zoé, Maëlys et Tom, enfants.
ZOÉ. – On est une famille de marginaux ?!
RAPHAËL. – Parmi les familles de nos copains, oui.
TOM. – Ça veut dire quoi, marginaux ?
MAËLYS. – Ça veut dire qu'on n'est pas comme les autres, qu'on est en marge.
ZOÉ. – Nous, en marge ?!
RAPHAËL. – Parmi les familles de nos copains, oui.
ZOÉ. – Ah bon.
MAËLYS. – Qu'est-ce que t'appelles « nos copains », pour commencer ?
ZOÉ. – Oui, parce que Tom, il a pas les mêmes que toi.
RAPHAËL. – Tous ceux qui viennent à la maison.
MAËLYS. – Okay, c'est déjà plus précis.
ZOÉ. – Et donc ?
RAPHAËL. – Et donc vous voyez pas en quoi elle est marginale, notre famille ?
TOM. – Ben non.
MAËLYS. – On est une famille normale.
ZOÉ. – Un petit peu trop, même, peut-être, moi je dirais.
MAËLYS. – Mais non, Zoé, pas un petit peu trop : juste bien.
ZOÉ. – Qu'est-ce qu'elle a de marginale, notre famille, vas-y, dis.
RAPHAËL. – Cherchez un peu.
MAËLYS. – Elle est pas du tout marginale. Papa et maman, ils sont pas séparés, déjà, pour commencer.
ZOÉ. – Ouais, tous nos copains peuvent pas en dire autant.
MAËLYS. – Papa ne tape pas sur maman.
ZOÉ. – Jade ne peut pas en dire autant de son père.
TOM. – Ouais, la pauvre.
MAËLYS. – C'est même pas très souvent quand papa et maman se disputent.
ZOÉ. – Peuvent pas tous en dire autant.
MAËLYS. – Et nous non plus, on passe pas tout notre temps à nous disputer entre frères et sœurs.
ZOÉ. – Peuvent pas tous en dire autant.
MAËLYS. – Papa et maman, ils ont du travail.
ZOÉ. – Ouais, c'est pas le cas des parents de tous nos copains.
MAËLYS. – Ils se droguent pas, ils sont pas alcooliques.
ZOÉ. – Pas le cas chez Laya, pas le cas chez Arthur.
TOM. – Ouais, les pauvres.
MAËLYS. – On habite dans une maison avec un jardin.
ZOÉ. – Pas le cas chez tous.
MAËLYS. – Chez nous, c'est calme.
ZOÉ. – Pas le cas chez tous.
MAËLYS. – On a chacun sa chambre, c'est pas le cas chez tous.
ZOÉ. – Aucun de nous n'a de maladie grave, c'est pas le cas chez tous.
MAËLYS. – On va en vacances tous les étés avec nos parents, c'est pas le cas de tous.
TOM. – On a un chien, c'est pas le cas de tous.
MAËLYS. – Ouais non ça, Tom, ne pas avoir de chien...
ZOÉ. – Ouais, ne pas avoir de chien, ça fait pas de quelqu'un un marginal, Tom.
TOM. – Ben si quand même.
ZOÉ. – Ben non.
TOM. – C'est pas normal, de pas avoir de chien.
ZOÉ. – C'est autant normal que d'en avoir un.
TOM. – Ah bon ?
MAËLYS. – Est-ce qu'on a un chat, Tom ?
TOM. – Ben non, mais c'est pas pareil que de pas avoir...
MAËLYS. – Si, c'est pareil. Ne pas avoir de chat ou ne pas avoir de chien, tout ça c'est normal, Tom.
ZOÉ. – Ce qui est normal, au sujet de notre chien, c'est qu'il mord pas. Ça c'est normal.
MAËLYS. – Ouais, tous nos copains qu'ont des chiens peuvent pas en dire autant.
ZOÉ. – Bon enfin donc, Raphaël, il faut que tu nous expliques ce qu'elle a de marginal, notre famille, parce que là, on voit pas, hein.
TOM. – Oui, on donne notre langue au chat.
MAËLYS. – Ou au chien.
ZOÉ. – Qu'est-ce qu'elle a de marginal, notre famille ? vas-y, dis.
RAPHAËL. – On n'a pas de religion.
Ça les laisse pensifs durant quelques secondes.
[...]