Impensable

de Tristan Choisel


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Contraints d'y croire. De faire preuve de bonne volonté. De bricoler quelque chose.

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> Pièce appartenant à la série Initiatives célestes.
 
> Ecriture accompagnée par le collectif A Mots Découverts.
 
> Poursuite de l'écriture à Monthey (Suisse) durant le mois de mars 2023, dans le cadre des Résidences d'auteurs dramatiques francophones en Valais (accompagnement dramaturgique : Rita Freda)
 
> Texte anciennement intitulé "L'équipée", puis "Des siècles des millénaires", puis "Très rapidement", puis "Risibles" !
 
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> durée : 2h
> nombre de personnages : 3 femmes / 4 hommes
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Vous vous appelez Laurent. Vous êtes l'ex-gardien d'une clinique psychiatrique désaffectée perdue dans la lande. Certaines nuits, il vous arrive encore d'y dormir. Parce que c'est plus plaisant ici que dans votre appartement au village. Une nuit, vous êtes réveillé par les appels au dehors de trois femmes et trois hommes qui sont arrivés là à pied à travers la lande, à la seule lueur de la lune. Vous les faites entrer. Ils vous assurent que vous les attendiez. Vous leur garantissez que non. Ils insistent : vous nous attendiez. 
 

Une pièce sur la violence, la confiance, la foi.

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EXTRAIT
 
 
[...]

2-

Les mêmes, avec des sacs à dos pour la moyenne ou grande randonnée, dans une lande partiellement boisée, de nuit, sans lampe torche mais avec la pleine lune.

Ils abordent un bâtiment.

Par instant, le hululement d’une chouette hulotte.

JEAN-DENIS. Dans la lumière blafarde de la lune et celle à peine plus chaleureuse de quelques lampadaires : un bâtiment – un grand bâtiment.

ODILE. Oui, on tombe sur un grand bâtiment – on ne s’attendait vraiment pas à trouver un bâtiment par ici.

IMAD. Au beau milieu de la lande, dans la fraîcheur de la nuit, après nos six heures de marche en pleine nature, un grand bâtiment sinistre – quatre niveaux de fenêtres, les volets roulants tous descendus, pas de lumières à l’intérieur.

GWENDOLINE. Il est minuit. Précisément minuit.

YAËLLE. Elle a dit une personne, elle a pas dit un bâtiment.

GWENDOLINE. Mais il est juste minuit.

JEAN-DENIS. La personne se trouve peut-être dans le bâtiment.

Qu’est-ce qu’on fait ?

DAMIEN. Est-ce qu’on doit s’intéresser à ce bâtiment ?

IMAD. On s’intéresserait pas à lui si y avait quelqu’un – il semble n’y avoir personne – on s’intéresse à lui par défaut.

GWENDOLINE. C’est déjà formidable de tomber sur quelque chose à minuit pile.

IMAD. Je trouve aussi.

GWENDOLINE. Je veux dire à part sur un énième chevreuil ou un énième sanglier.

JEAN-DENIS. Ouais, c’est sûr.

ODILE. Et si y a moyen de passer le reste de la nuit à l’abri, moi je suis d’accord.

DAMIEN. C’est pas du tout dit qu’il y a du monde, ni qu’on va pouvoir entrer.

YAËLLE. S’il y a du monde, qu’est-ce qu’on leur dit ? s’ils sont pas au courant ?

IMAD. On leur dit ce qui est.

JEAN-DENIS. Si on arrive à parler à quelqu’un, ça sera déjà beau – à une heure pareille.

IMAD. Bon, allons-y.

JEAN-DENIS. On n’attend pas un peu ici, d’abord ? au cas où la personne aurait tout simplement un peu de retard.

GWENDOLINE. Ouais, t’as raison, on sait jamais.

JEAN-DENIS. Pas de précipitation.

IMAD. Ouais, okay.

GWENDOLINE. Il est minuit et une minute.

ODILE. On poirote en disant des trucs du genre :

IMAD. Les odeurs sont agréables.

YAËLLE. Il fait encore plus frais quand on est arrêtés.

JEAN-DENIS. Tu dis que c’est quoi, comme chouette, qu’on entend ?

GWENDOLINE. Une chouette hulotte.

DAMIEN. Moi, à mon humble avis, il va venir personne.

ODILE. Au bout de vingt minutes longuettes et frisquettes, personne ne venant, on se dit qu’on pourrait peut-être appeler, que la personne peut-être ne se trouve pas très loin.

TOUS. Ohé ! Hoho ! On est là !

GWENDOLINE. Personne ne se manifestant, cette fois on se dirige sur le bâtiment.

YAËLLE. J’espère qu’on se met pas en danger.

ODILE. On va pas rester là.

JEAN-DENIS. On va pas non plus faire demi-tour.

ODILE. Non plus.

DAMIEN. Bon, allez, on y va...

YAËLLE. On y va, mais je suis pas très rassurée.

IMAD. Y a une enceinte grillagée.

GWENDOLINE. On met le cap sur ce qui nous semble être l’entrée. 

DAMIEN. Les lampadaires, le parking, les grilles.

IMAD. Ça fait maison de retraite.

ODILE. Ou lycée agricole.

JEAN-DENIS. S’il y a du monde, ils vont vraiment se demander ce qu’on veut en pleine nuit.

YAËLLE. Ouais.

ODILE. Du moment qu’ils nous accueillent bien.

GWENDOLINE. Sur le parking, pas le plus petit véhicule.

IMAD. Derrière les grilles, pas la plus petite animation.

YAËLLE. Ni la plus petite lumière.

DAMIEN. On déniche ce qui nous semble être un interphone.

IMAD. Je palpe cet interphone et finis par localiser le bouton, que j’enfonce plusieurs fois.

JEAN-DENIS. Ce qui ne provoque strictement rien, ni animation ni lumière.

GWENDOLINE. On décide d’aller voir s’il y aurait pas un peu plus de vie à l’arrière du bâtiment.

ODILE. En longeant l’enceinte grillagée.

IMAD. Dans un triste état, l’enceinte grillagée.

DAMIEN. Pas la moindre lumière.

YAËLLE. On tourne.

GWENDOLINE. On tourne lentement, de la même façon qu’on a marché jusqu’ici durant les dernières heures : lentement, prudemment.

YAËLLE. À la seule lueur de la lune, sur la végétation imparfaitement rase de la lande.

GWENDOLINE. Parmi les pins, les bouleaux, les chênes et les fougères aigles.

YAËLLE. En tâtonnant, en se piquant aux ajoncs, en trébuchant dans les bruyères.

ODILE. En trébuchant d’autant plus aisément qu’un nuage facétieux parfois passe entre la lune et nous.

GWENDOLINE. Mais il faut se féliciter que le ciel ne soit pas entièrement couvert.

ODILE. On tourne.

JEAN-DENIS. Aucune lumière.

IMAD. Est-ce qu’on essaie d’entrer ?

GWENDOLINE. D’entrer par où ?

DAMIEN. C’est un coup à avoir des problèmes, ça.

YAËLLE. Je trouve aussi.

ODILE. Oui mais si la personne est à l’intérieur ?

DAMIEN. Moi je dirais qu’il y a bien deux cents personnes à l’intérieur.

IMAD. De la lumière !

GWENDOLINE. Ah mais oui, de la lumière !

DAMIEN. À une fenêtre du rez-de-chaussée, y a un volet qui n’est pas baissé, et là y a de la lumière ! ah !

ODILE. Regardez ! Une brèche dans le grillage !

GWENDOLINE. Incroyable !

JEAN-DENIS. Allons-y.

IMAD. C’est comme si cette brèche était là pour nous.

DAMIEN. Ça doit être un passage d’animaux.

ODILE. Putain, c’est presque aussi buissonneux à l’intérieur de l’enceinte qu’à l’extérieur.

JEAN-DENIS. On atteint la fenêtre éclairée.

YAËLLE. Comme feraient des papillons de nuit.

DAMIEN. Y a pas de rideau.

GWENDOLINE. On matte à l’intérieur.

IMAD. Un salon encombré de fauteuils dépareillés, une table basse.

IMAD. Personne.

JEAN-DENIS. On frappe à la fenêtre.

DAMIEN. On frappe fort.

ODILE. Personne nous entend.

TOUS. Hoho ! Eh ho !

IMAD. Y a quelqu’un ?!

TOUS. Ohé ! Hoho !

DAMIEN. Y a quelqu’un ?!

JEAN-DENIS. Y a quelqu’un ?!

TOUS. Hoho ! Ohé ! Eh ho ! Hoho !

IMAD. On va réveiller tout un dortoir, ça va être super.

TOUS. Hoho ! Ohé !

IMAD. Y a quelqu’un ?!

TOUS. Ohé ! Eh ho !

GWENDOLINE. Peut-être qu’on devrait appeler à un autre endroit du bâtiment.

JEAN-DENIS. Non, écoutez !

YAËLLE. On entend le grincement d’un volet roulant à gauche. Et la fenêtre qui s’ouvre.

LAURENT. Venez par ici !

ODILE. On s’approche. J’explique qu’on est drôlement contents de faire ici la rencontre d’une personne et qu’on apprécierait énormément de passer le reste de la nuit à l’abri en compagnie de cette personne.

 

[...]