Delphine, très seule

de Tristan Choisel
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Tant qu'il sera là, elle s'en sortira.




> Pièce remarquée par le comité de lecture du Théâtre National de Strasbourg (saison 2018-19) - sous le titre Il y a toujours eu des gens à part

> Retravaillée en 2024-25

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> durée : 1 h
> 4 personnages (3 femmes et 1 homme)
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Delphine n'est pas « facile à vivre », comprend-on. Parmi ses problèmes, ses empêchements : l'incapacité à faire une autre sorte de travail que du bénévolat. Travailler pour un employeur ou pour un client est de l'ordre pour elle de l'impossible. Du coup, son compagnon Franck ne peut compter que sur lui-même pour subvenir à leurs besoins et leur permettre d'habiter cette maison qui leur plaît tant mais dont le loyer est un peu au-dessus de leurs moyens. Mais en vérité, parmi tous les problèmes psychologiques qu'a Delphine, ça n'est pas celui qui pèse le plus à Franck. Ou, pour dire les choses autrement, si Delphine n'avait pas ce problème, si elle était capable de se débrouiller seule financièrement, c'est à cause de ses nombreux autres problèmes que Franck la quitterait... Il n'ose pas, n'ose même pas y songer, préfère s'imaginer heureux...

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Extrait (début)



1-

Delphine, triste, abattue.
Entre Franck (porte d’entrée).
FRANCK. Alors ?
DELPHINE. Alors, pas de chienne.
FRANCK. Merde. Merde. Pas de chienne.
DELPHINE. Non. J’ai ratissé le quartier ; et les quartiers autour – je suis lessivée.
FRANCK. Tu as demandé aux gens ?
DELPHINE. Même aux tout petits enfants. J’ai fait tout ce qu’on a dit : j’ai collé les affichettes partout où je suis allée – une demi ramette ; j’ai appelé police, gendarmerie, toutes les fourrières, tous les refuges, plusieurs fois – au point que je me suis entendue répondre qu’il fallait plus que j’appelle, qu’ils avaient le signalement, qu’ils avaient mon numéro, que ça servait à rien que, bon très bien.
FRANCK. Maintenant il fait nuit.
DELPHINE. Ouais. Dans un des refuges, ils ont reçu un animal qui ressemble vaguement à un berger d’Islande, mais y a deux jours, et c’est un mâle.
FRANCK. Pourquoi la barrière était ouverte ?
DELPHINE. Je l’ai trouvée ouverte.
FRANCK. Elle était pas fermée à clé ?
DELPHINE. Faut croire que non.
Java n’est pas une chienne qui fugue, tu le sais comme moi ; ça l’intéresse pas. Quand elle s’échappe – si on peut appeler ça s’échapper –, elle va pas bien loin, et elle sait revenir, elle est intelligente – le danger, c’est les voitures – et le vol, évidemment.
FRANCK. Si elle revient, elle va trouver la barrière ouverte ?
DELPHINE. Oui. Moi aussi je suis intelligente.
Ils arrivent à en sourire.
FRANCK. Je me lèverai plus tôt demain matin, je la chercherai avant de partir.
Elle a pu être volée dans la cour, tu crois ?
DELPHINE. Dans la cour, dans la rue.
FRANCK. Peut-être pas quand même dans la cour, pas en plein jour.
DELPHINE. Je n’en sais rien.
FRANCK. Mais qu’est-ce que la barrière faisait ouverte ? bon sang.
DELPHINE. C’est peut-être moi qui l’ai mal refermée ; ou c’est peut-être toi.
FRANCK. Je fais toujours attention.
DELPHINE. L’un de nous deux a fait moins attention que d’habitude. Ou c’est quelqu’un d’autre que nous. Des enfants.
FRANCK. Elle aurait dû être fermée à clé.
DELPHINE. Elle l’était pas.
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Image :  d'après un visuel de Sebastian Pichler, sur Unsplash